Projet


Réunissant des chercheurs aux approches disciplinaires plurielles (géographie sociale et culturelle, géographie politique de l’environnement, sciences de l’information géographique, histoire environnementale, …) de six unités de recherche¹, des collectifs d’artistes (arts plastiques et numériques) et des musées partenaires, le projet de recherche Spherographia part du constat que l'utilisation des globes virtuels a connu une croissance remarquable au cours des 20 dernières années.

Omniprésents dans les documentaires², les rapports scientifiques³, les événements internationaux⁴, les musées⁵ ou encore les œuvres de fiction, les globes virtuels apparaissent désormais comme l'un des derniers avatars de la cartographie des changements globaux. Des entreprises spécialisées dans le traitement et la conception de données massives⁶ tentent de reproduire le « overview effect »⁷ pour sensibiliser le monde aux enjeux des crises actuelles. Au-delà de leur esthétique fascinante, ces images de la Terre vue de l'espace fondent leur autorité sur des publications de revues et d'organisations internationales ou encore sur des sociétés savantes⁸ sur les jumeaux numériques de la Terre et contribuent à façonner nos imaginaires et la manière dont les questions environnementales sont envisagées et évaluées. Les globes virtuels sont donc investis tant par le politique que par le scientifique et les ONG. D'un point de vue anthropocénique, ils tendent à supplanter les planisphères : plus synthétiques et permettant une régionalisation continentale des phénomènes étudiés, ils favorisent une vision holistique de ce qui advient à la Terre, comme un tout. Ils établissent aussi un nouveau régime scopique par des jeux de manipulation et de zoom qui permettent de naviguer du niveau planétaire vers les situations locales.

Les prenant pour objet d’étude, Spherographia est un projet de recherche, financé pour trois ans (2023-2025) par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR – CE55), qui porte sur les images de l’environnement global, en particulier les globes virtuels. Le projet vise un double objectif : d’une part, mieux comprendre leur fabrique à travers l’analyse des intentionnalités de leurs promoteurs et leurs différentes modalités de constitution en remontant la généalogie de leurs sources pour révéler les disparités des données sous-jacentes à ces visualisations ; d’autre part, le projet interrogera la performativité des globes sur l’imaginaire et les engagements politiques de celles et ceux qui les alimentent ou les utilisent. En prenant pour point d’entrée les globes virtuels, Spherographia propose de réfléchir en termes de justice spatiale à l’inégale géonumérisation du monde.

Les défis scientifiques sont doubles :
  • d’un point de vue méthodologique, il s’agit de développer un prototype d’identification, de qualification et de géovisualisation des déserts de données qui permettent de ne pas en rester aux interpolations masquant les vides mais, au contraire, de faire une sorte de géographie des restes et autres fantômes cartographiques non retranscrits en langage binaire ;
  • d’un point de vue théorique, il s’agit d’intégrer la dimension informationnelle aux travaux portant sur la justice spatiale et environnementale qui réduisent bien souvent les questions liées au numérique à des enjeux d’infrastructure ou de compétence.
Spherographia a donc aussi pour ambition de participer au renouvellement des approches critiques de la cartographie en étudiant l’amont (les sources et les intentionnalités) et l’aval (les usages et la performativité) des globes virtuels.


L’originalité du projet est donc de se focaliser sur le capital informationnel des territoires en combinant, par une approche interdisciplinaire (géographie, géomatique, histoire, sémiotique, arts plastiques et numériques), mixte (analyse de discours, analyse spatiale, géovisualisation, observation participante, création art/science) et multiscalaire (des globes aux terrains), trois axes d’analyses complémentaires :
  • Les globes virtuels : état des lieux, esthétique et usages.
  • Des globes virtuels aux données : remonter et spatialiser les sources.
  • Des données au terrain : noircir le blanc des cartes, apparaître sur le globe.


1.PASSAGES à Bordeaux, PRODIG et CRH à Paris, LETG à Brest et Nantes, EVS à Lyon et St Etienne, et LISST à Toulouse.

2.Les globes virtuels alimentent, par exemple, le fil narratif du documentaire Our Planet Has Limits. The Science Warning et le livre Breaking Boundaries: The Science Behind our Planet, préfacé par Greta Thunberg, qui accompagne sa sortie sur Netflix en septembre 2021.

3.Les globes produits par le Met Office Hadley Centre qui spatialisent différents scénarios de dérèglement climatique sont, par exemple, utilisés dans les rapports du GIECC et de l’IPBES.

4.Les nombreux outils de visualisation de la biodiversité présentée lors du Congrès de la Nature organisé par l’IUCN à Marseille, en septembre 2021, en sont de bons exemples.

5.L’agence américaine NOAA a créé Science On a Sphere® un service muséographique qui permet de projeter des données sur un globe de plusieurs mètres diamètres. Installé dans 23 pays, cette interface matérielle est couplée à un site Internet : https://sos.noaa.gov/.

6.Comme GLOBAIA, une entreprise financée par les leaders de la Silicon Valley, dont les membres se définissent comme des « cosmographes » et produisent des globes virtuels pour « rendre visible l’état de la planète » (https://globaia.org/about).

7.L'effet de surplomb, pouvant également être traduit par « effet surplombant », est un choc cognitif, une prise de conscience dont témoignent certains astronautes lors d'un vol spatial qui se produit lorsque ceux-ci observent la Terre depuis l'orbite terrestre ou la Lune

8.L’International Society for Digital Earth créée à Pékin en 2006 et l’International Journal of Digital Earth, publiée depuis 2011, témoignent de l’influence internationale et de la dynamique de cette alliance interdisciplinaire.